L’éducation selon Nicolas Sarkozy: 3 ans après, où en sommes nous ?
Rentrée septembre 2007, le nouveau président s’exprime pour la première fois sur sa vision de la politique éducative en France, au travers de sa « lettre aux éducateurs ».
Une lettre pleine de bon sens, de bon augure tant il semblait avoir pris la mesure de la complexité de la tâche éducative, œuvre collective, la nécessité de prendre en compte à la fois l’élève, les contenus disciplinaires et le respect des enseignants et de l’institution.
Il ne restait plus qu’à attendre de voir cette vision traduite en actes.
Trois ans plus tard, mesurons point par point ce qui a été suivi d’effet, en nous appuyant sur des extraits de cette lettre présidentielle (ci dessous en bleu):
« Je souhaite que nous reconstruisions une éducation du respect, une école du respect. Je souhaite que nos enfants apprennent la politesse, l'ouverture d'esprit, la tolérance, qui sont des formes du respect… »
Quels sont les éducateurs et enseignants qui peuvent témoigner que le respect, la politesse et la tolérance aient progressé dans le pays ces dernières années ?
Quelle valeur attribuer à cette déclaration d’intention, à la lumière du « casse-toi pauvre con ! » présidentiel ?
« Je souhaite qu'on apprenne à chacun d'entre eux à respecter le point de vue qui n'est pas le sien, la conviction qu'il ne partage pas, la croyance qui lui est étrangère, qu'on lui fasse comprendre à quel point la différence, la contradiction, la critique loin d'être des obstacles à sa liberté sont au contraire des sources d'enrichissement personnel. … »
Comment interpréter alors cette volonté présidentielle de contrôler autant que possible les grands médias publiques (par la nomination des présidents du PAF), et privés (par une étroite connivence avec leurs actionnaires majoritaires ?)
«… même si nous devons le rénover, notre modèle d'école républicaine brasse toutes les origines, toutes les classes sociales, toutes les croyances, et s'impose de rester neutre face aux convictions religieuses, philosophiques ou politiques de chacun en les respectant toutes.
Ce modèle s'est affaibli, ses principes ne sont plus assez respectés. Si je souhaite aller progressivement vers la suppression de la carte scolaire, c'est précisément pour qu'il y ait moins de ségrégation…. »
Quelqu’un en France peut-il témoigner que la suppression de la carte scolaire ait favorisé le brassage social ? Il semble qu’au contraire, les familles «averties » aient encore plus de libertés pour choisir le « meilleur » établissement, les autres subissent une ghettoïsation croissante.
« Si je souhaite réformer le collège unique, c'est pour que chacun puisse y trouver sa place, pour que les différences de rythmes, de sensibilités, de caractères, de formes d'intelligence soient mieux prises en compte de façon à donner à chacun une plus grande chance de réussir… »
Nous attendons toujours la réforme du collège unique.
Aujourd’hui, l’alternative pour ceux qui ne réussissent pas au collègue réside dans les établissements privés type MFR ou autres. Ceux qui n’en ont pas les moyens s’enfoncent dans l’échec au collège et survivent, en fracture ouverte avec le système éducatif, voire avec la société.
« Si je souhaite que les enfants handicapés puissent être scolarisés comme tous les autres enfants, ce n'est pas seulement pour faire le bonheur des enfants handicapés mais aussi pour que les autres enfants s'enrichissent de cette différence... »
L’intégration d’élèves handicapés dans les établissements scolaires a progressé depuis la promulgation de la loi handicap de 2005.
Cependant, pourquoi les contrats des AVS (Auxiliaires de vie scolaires) n’ont-ils pas été reconduits en 2009 ? Pourquoi 20 000 enfants environ selon l’ADAPEI ne sont-ils toujours pas scolarisés et au moins 20% des enfants handicapés n’ont toujours pas d’AVS ?
« Au risque de la confrontation religieuse qui ouvrirait la voie à un choc des civilisations, qu'avons-nous de mieux à opposer que quelques grandes valeurs universelles et la laïcité ? … »
Comment interpréter alors la contradiction avec cette autre déclaration présidentielle : « L’instituteur ne remplacera jamais le curé… »
« ...Entre la conscience de l'appartenance au genre humain et la conscience d'une destinée individuelle, l'éducation doit aussi éveiller des consciences civiques, former des citoyens. Nos enfants ne seront jamais des citoyens du monde si nous ne sommes pas capables d'en faire des citoyens français et des citoyens européens… »
En quoi la politique conduite par Nicolas Sarkozy participe-t-elle à l’éveil des consciences civiques françaises, européennes ?
Quelle grande aspiration à un destin commun se dégage de ce quinquennat, si ce n’est celle du « consommer plus » et « travailler plus » pour soutenir une machine économique polluante, déliquescente et des inégalités de plus en plus criantes ?
Comment la suppression des débats dans les classes au profit de « leçons de morale » peut elle participer à l’éveil des consciences citoyennes ?
« Affirmer l'importance de la culture générale dans l'éducation où elle a tant reculé au profit d'une spécialisation souvent excessive et trop précoce, c'est affirmer tout simplement que le savant, l'ingénieur, le technicien ne doit pas être inculte en littérature, en art, en philosophie et que l'écrivain, l'artiste, le philosophe ne doit pas être inculte en science, en technique, en
mathématiques… »
« … L’idée que l’enfant de famille modeste, celui qui est né dans l’un de ces quartiers difficiles qui accumulent les handicaps, le fils ou la fille de l’employé, de l’ouvrier n’aurait pas besoin d’être confronté aux grandes œuvres de l’esprit humain, qu’il ne serait pas capable de les apprécier, que lui apprendre à lire, écrire et compter serait bien suffisant, est pour moi l’une des plus grandes marques du mépris… »
« Notre éducation doit devenir moins passive, moins mécanique. Elle doit aussi réduire la place excessive qu’elle donne trop souvent à la doctrine, à la théorie, à l’abstraction devant lesquelles beaucoup d’intelligences se rebutent et se ferment. Il nous faut faire une place plus grande à l’observation, à l’expérimentation, à la représentation, à l’application… »
« Je suis convaincu que de cette façon on intéressera davantage un plus grand nombre d’enfants et que l’échec scolaire s’en trouvera réduit. Cela vaut pour les sciences, comme pour les humanités ou pour les arts."
Nous observons une baisse globale des horaires d’enseignement des sciences dans les nouveaux programmes de 2008 en primaire et dans le secondaire, ce qui impose de réduire la dimension expérimentale nécessairement exigeante en temps. Nous allons donc devoir faire plus de sciences sur le papier, et moins d’expérimentation et d’observation.
La toute nouvelle réforme des lycées réduit le nombre d’heure, dans un souci purement budgétaire, donc quelle place va rester pour la littérature, les arts, la philo, l’histoire ?
« Pour que le savoir devienne plus vivant, plus concret, il faut ouvrir davantage le monde de
l'éducation sur les autres mondes, ceux de la culture, de l'art, de la recherche, de la technique et, bien sûr, sur le monde de l'entreprise qui sera celui dans lequel la plupart de nos enfants vivront un jour leur vie d'adulte… »
« C'est dans les forêts, dans les champs, dans les montagnes ou sur les plages que les leçons de physique, de géologie, de biologie, de géographie, d'histoire mais aussi la poésie, auront souvent le plus de portée, le plus de signification
Il faut apprendre à nos enfants à regarder aussi bien le chef-d'oeuvre de l'artiste que celui de la nature… »
Il n’a jamais été aussi compliqué pour les enseignants d’organiser une sortie pédagogique, au musée ou en forêt, tant les procédures administratives se sont alourdies, tant il n’y a rien pour encourager les initiateurs de tels projets abandonnés à eux-mêmes, tant la discipline dans les classes n’a jamais autant posé de problèmes.
De plus, la réduction des budgets accordés aux collectivités locales va fatalement entraîner une diminution des aides allouées aux établissements pour les sorties pédagogiques.
« …c'est un autre des défauts de notre éducation traditionnelle que d'opposer ce qui est manuel à ce qui est intellectuel.
Cloisonnement absurde qu'il faut briser pour que les filières professionnelles soient reconnues comme des filières d'excellence au même titre que les autres… »
Les filières de formation professionnelle ont vu réduire d’une année la préparation au bac pro.
De nombreux adolescents se sont vu refuser l’entrée dans ces filières par faute de place. Il leur a été conseillé de repostuler l’année suivante, après avoir perdu une année…
« Non seulement le sport doit prendre plus d'importance à l'école, mais il faut aussi que le monde du sport et celui de l'éducation s'ouvrent davantage l'un sur l'autre, qu'entre les institutions sportives et les institutions éducatives aussi les liens soient resserrés, qu'entre les sportifs et les enseignants la coopération s'établisse pour le plus grand bien de nos enfants. »
Le ministre de l’éducation nationale a récemment déclaré que les activités sportives prendraient de l’ampleur dans l’emploi du temps des collégiens et lycéens.
Mais aucun budget n’a été mobilisé pour venir crédibiliser cette déclaration d’intention.
« Il faut pour que nous réussissions que chacun d'entre vous se fasse un devoir de travailler avec les autres. Entre le père, la mère, le professeur, le juge, le policier, l'éducateur social, et tous ceux qui sont en contact avec l'enfant dans le milieu sportif, culturel, associatif, l'intérêt de l'enfant doit l'emporter sur toutes autres considérations. La confiance, la coopération, l'échange, l'esprit de responsabilité doit régner… »
Dans la fonction publique, les objectifs n’ont jamais été aussi individuels, le management n’a jamais été aussi impersonnel, aussi peu à l’écoute des difficultés opérationnelles du terrain. Comment, dans ces conditions, espérer développer un climat de confiance, de coopération entre ces différents acteurs au bénéfice des citoyens ?
« Parents, vous êtes les premiers des éducateurs.
Je sais combien ce rôle est difficile quand le chômage menace, quand la famille se recompose, quand le père ou la mère se retrouve tout seul pour élever ses enfants. Je sais combien la vie peut être lourde.
Je veux vous dire que vous serez soutenus, que vous serez aidés à chaque fois que vous en aurez besoin pour éduquer vos enfants dès le plus jeune âge et que pour moi la politique familiale fait entièrement partie du projet éducatif. »
Au delà de la nécessaire responsabilisation des parents, cherchons ce qui a été proposé : réduire les allocations familiales en cas d’absentéisme ? N’est-ce pas un peu court ?
Depuis longtemps, les centres médicopédagogiques (CMP) sont débordés faute de moyens , les assistantes sociales plus ou moins disparues, et il est question de réduire drastiquement les postes de psychologues scolaires, qui assurent entre autre un rôle de soutien et de conseil auprès des familles.
« Je veux vous dire que le droit à la garde d'enfants et la maternelle seront pour moi, au cours des cinq années qui viennent, des priorités et que je suis décidé à faire en sorte que plus aucun enfant ne soit livré à lui-même une fois la classe terminée afin que vous puissiez achever votre journée de travail sans éprouver l'angoisse de savoir votre fils ou votre fille sans surveillance, sans encadrement.
Désormais les devoirs seront faits à l'école, en études surveillées et pour les bons élèves issus des familles les plus modestes qui ne peuvent pas offrir à leurs enfants un cadre propice à l'étude, des internats d'excellence seront créés… »
Les heures d’aides personnalisés ou d’études encadrées sont globalement bien accueillies par les élèves et parents d’élèves. C’est un des très rares points de progrès observés depuis 3 ans.
Par contre, subsiste un projet de suppression de la maternelle pour les 3, voire 4 ans et remplacement par des jardins d’éveil privés, avec du personnel moins formé, et dont le financement reste flou.
« Professeurs, enseignants, vous aussi vous avez droit au respect, à l'estime. Votre rôle est capital. Vous avez souvent fait de longues études. Vous devez faire preuve d'intelligence, de patience, de psychologie, de compétence.
Soit, mais bien peu peuvent témoigner d’une amélioration du respect ou de l’estime des enseignants ou de leur fonction.
Quelle belle marque de respect manifestée aux enseignants de maternelle que de résumer leur métier à la « surveillance de la sieste et au changement des couches » (Xavier Darcos, alors ministre de l’éducation nationale) !
« Je sais à quel point le merveilleux métier d'enseigner est exigeant, à quel point il vous oblige à donner beaucoup de vous-même, à quel point aussi il est devenu difficile et parfois ingrat depuis que la violence est entrée dans l'école. J'ai bien conscience que votre statut social, votre pouvoir d'achat, se sont dégradés au fur et à mesure que votre tâche devenait plus lourde, vos conditions de travail plus éprouvantes.
La Nation vous doit une reconnaissance plus grande, de meilleures perspectives de carrière, un meilleur niveau de vie, de meilleures conditions de travail. .. »
« Dans l'école que j'appelle de mes vœux où la priorité sera accordée à la qualité sur la quantité, où il y aura moins d'heures de cours, où les moyens seront mieux employés parce que l'autonomie permettra de les gérer davantage selon les besoins, les enseignants, les professeurs seront moins nombreux.
Mais ce sera la conséquence de la réforme de l'école et non le but de celle-ci. Et, je m'y engage, les moyens qui seront ainsi dégagés seront réinvestis dans l'éducation et dans la revalorisation des carrières. Il s'agit d'être plus efficace, non de rationner… »
Si la maitrise budgétaire est le devoir de tout gouvernement, il est difficile de voir autre chose qu’une vision budgétaire dans les réformes imposées au système éducatif.
Le projet, soigneusement dissimulé, d’augmenter les effectifs des classes dans le seul but de réduire le nombre de fonctionnaires est en contradiction flagrante avec l’exigence de qualité de l’enseignement. Certes, il ne suffit pas d’augmenter les moyens pour améliorer la qualité, mais les pays scandinaves montrent bien que des classes d’effectifs modérés constituent un élément du succès.
Quand à l’amélioration du niveau de vie et des perspectives de carrière, elle est tout bonnement inexistante.
« Chacun d'entre vous est conscient que face à la dureté des rapports sociaux, à l'angoisse devant un avenir de plus en plus vécu comme une menace, le " monde a besoin d'une nouvelle Renaissance, qui n'adviendra que grâce à l'éducation. À nous de reprendre le fil qui court depuis l'humanisme de la Renaissance jusqu'à l'école de Jules Ferry, en passant par le projet des Lumières.
Le temps de la refondation est venu. C'est à cette refondation que je vous invite. Nous la
conduirons ensemble. Nous avons déjà trop tardé. .. »
Ensemble ? Quelqu’un a-t-il eu le sentiment depuis 3 ans d’une action collective, concertée ?
Pourquoi le management participatif qui a permis de moderniser intelligemment les entreprises dans mes années 1980 n’est-il pas adopté dans la fonction publique ?
N’y-a-t-il que des irresponsables à tous les étages, incapables de remises en cause et d’initiative ?
Cette rapide analyse nous amène à conclure sur ce constat de divergence extrême entre l’intention présidentielle affichée en 2007 et les actions gouvernementales qui s’en suivent depuis 3 ans.
En tant que citoyen, il nous faut faire cet exercice objectif de mise en regard des paroles et des actes. Ce n’est certes pas le politique qui le fera pour nous.